De l’enfance il lui reste des images saisissantes, d’enfantements à répétition d’une mère résignée et d’un père vénéré, riche et puissant qui l’a privée d’éducation parce qu’elle était née de cette mère-là.

Premier confinement
Huile sur toile 146 cm x 114 cm 2020

Des corps sans chair

Gifty Amma Ohenewaa Potukyan est née à Accra en 1966, elle a quitté le Ghana en 1989. C’est en France qu’elle a commencé à peindre, gardant ses toiles comme un secret pendant des années.

De l’enfance il lui reste des images saisissantes, d’enfantements à répétition d’une mère résignée et d’un père vénéré, riche et puissant qui l’a privée d’éducation parce qu’elle était née de cette mère-là. D’une colère enfouie est née la rage de peindre. Cette explosion de formes et de couleurs sur des toiles de plus en plus grandes, c’est sa liberté à elle, sa manière de dire ce qu’elle n’a jamais pu dire, réduite dès l’enfance au silence, à n’être que mère de sa mère, de ses frères et sœurs alors qu’une énergie créatrice l’habitait depuis toujours.

Jour après jour Gifty peint oubliant le temps comme lorsqu’elle courait avec ce père qu’elle a aimé même si se l’avouer serait trahir, un homme dont elle a hérité sa force et sa fierté.

Elle peint des corps sans chair, des visages déformés, des mères et des enfants sans regard mais aussi des couples qui dansent enlacés. Le manque, la douleur, l’absence s’expriment dans la violence du trait, dans les noirs profonds, la vitalité dans le mouvement et l’intensité des couleurs. La vie l’emporte même si rôdent la mort et les fantômes d’un passé très présent. 

Il aura fallu des dizaines d’années et des rencontres marquantes avec des peintres pour que Gifty se donne le droit de livrer ses toiles au regard des autres, le droit d’exister en tant qu’artiste. L’enfant qui n’aurait pas dû naître, assume aujourd’hui pleinement son nom et sa vocation.
Nathalie Debroise - The American University of Paris